Rappelle-moi

Téméco
Rappelle-moi
/

ELLE (une jeune fille)

LA VOIX (féminine)

Le soir. Elle est assise à un bureau dans sa chambre. Sur la table, du café, du papier vert et un crayon. Fatiguée de pleurer. Elle commence à écrire et parle à voix haute.

ELLE : Un étrange manque. Désir de revenir à l’état antérieur. Indicible. Insatiable. Inexplicable. Rester prisonnière de ce passé pour qu’il devienne un éternel présent. Un sentiment fort. La nostalgie. Comment se comporter maintenant ? Qu’est-ce que l’illusion et qu’est-ce que la vérité ? Comme si je me perdais à nouveau. Cela ne doit pas être le cas. Pas cette fois. Certitude. Puis de nouveau la confusion. Vitesse de pensée indescriptible. Une poussée de pensées. Elles m’inondent de tous côtés. Puis-je leur résister ? Les maîtriser ? Où est le salut ? Juste des questions…

ELLE et LA VOIX (en même temps) ; ELLE (tristement), LA VOIX (fermement, avec une dose de ridicule) : Et les réponses, où sont-elles ? Toute la vie, juste des questions.

Un regard confus, surpris, elle pense avoir entendu quelqu’un. Elle continue d’écrire tristement.

ELLE : Relativité, insécurité. Se débarrasser des émotions. À la fin, seule avec moi-même. Qu’est-ce qui me protège ? Les perceptions peuvent être fausses. Est-ce que je ressens vraiment ?

ELLE et LA VOIX (en même temps)  : Alors, écris !

ELLE (continue d’écrire) : C’est tellement fort que je ne peux pas m’exprimer. Ça fait mal et je ne sais pas ce que c’est. Quelque chose de longtemps réprimé. Quelque chose qui est la cause de tous les maux. Les émotions. Comment atteindre l’indifférence ? Tout totaliser. Aligner.

ELLE : Aligner tout.

LA VOIX (en même temps) : Aligner toutes… les pensées !

ELLE (arrête d’écrire) : De qui est cette voix ?

LA VOIX (soupirant) : Ah, les jours noirs. Il semble qu’on doive y repasser…

ELLE : Mais qui est-ce ?

LA VOIX : Je suis ce que tu devrais être si tu n’étais pas qui tu es en ce moment. Je mentirais si je disais que je ne me sentais pas un peu étourdie en t’écoutant comme ça.

ELLE (se répète) : C’est juste dans ma tête, juste dans ma tête… J’ai dû boire trop de café et je suis certainement trop agitée.

LA VOIX : Bah oui ! Dans la tête. Tout comme cet arsenal de pensées d’autodestruction sadique. Je suis surprise que malgré cette cacophonie à l’intérieur, tu puisses quand même m’entendre. Tout ce que tu penses, existe. Tu essaies en vain de me nier, qui sait combien de fois déjà.

ELLE (avec un regard terne) : Bien. Dis-moi ce que tu veux, et finissons-en.

LA VOIX (plus claire) : Alors. Veux-tu une réponse à ta manière, vaste mais imprécise, souvent contradictoire, ou à la mienne ?

ELLE (sarcastiquement) : Honorez-moi, oratrice, de votre talent.

LA VOIX : Centre-toi.

ELLE : Quoi ?

LA VOIX : Oui, c’est simple, centre-toi.

ELLE (calmement en clignant ses yeux) : Me centrer ? Bien. (Dramatiquement) Comment puis-je me centrer quand il m’a quittée après un an et demi de relation ?

LA VOIX : Mais quelle relation…

ELLE : Que veux-tu dire par là ? Je suis convaincue que c’était la bonne. Et au moment où il me donne l’espoir pour quelque chose de plus grand et de plus sérieux, il disparaît tout simplement. Par ailleurs, il me dit que c’est trop intense pour lui, qu’il a besoin de temps pour réfléchir. Qu’il a besoin d’une pause.

LA VOIX : Quoi ? Une pause de l’amour ?

ELLE : Je ne sais pas. Une pause. C’est étrange. C’est vraiment un homme incroyable. (D’un ton rêveur) Il est beau, intelligent, toujours bien rangé… Il a certainement des défauts, mais qui n’en a pas ?

LA VOIX (en imitant son ton rêveur) : Oui, des défauts de caractère et ici et là, quelques feux rouges indiquant clairement l’impossibilité de lui faire confiance, que j’ignore avec succès. Il a juste besoin de quelqu’un pour le sauver… De lui-même.

ELLE : Maintenant, tu exagères avec ce sarcasme. Je suis convaincue qu’il m’aime toujours. Mais peut-être que maintenant il a des problèmes dans sa vie ; si je les découvrais, je saurais comment l’aider.

LA VOIX : Tu es convaincue qu’il t’aime toujours ?

ELLE : J’en suis fermement convaincue.

LA VOIX : Répète ça.

ELLE : J’en suis fermement convaincue.

LA VOIX : Répète cela dix fois de plus.

ELLE : J’en suis fermement convaincue. J’en suis fermement convaincue. (Avec un ton plus faible et une plus grande dose de doute). J’en suis fermement convaincue. J’en suis fermement convaincue. (Elle fond en larmes).

LA VOIX : Oui, je vois. Je vois. La pensée même que quelqu’un veuille se reposer de l’amour est un peu bizarre, n’est-ce pas ?

ELLE (en pleurant) : Pourquoi fais-tu ça ? C’est trop cruel. Il m’a blessée, (elle se tapote la tête) et maintenant même la voix dans ma tête s’acharne contre moi.

LA VOIX (d’un ton plus doux) : Je suis juste honnête. Ce qui est cruel, c’est que tu te mentes à toi-même. Tu dis qu’il t’a blessée. Tu as en fait été blessée par les attentes que tu avais de lui. Peut-être avais-tu de trop grandes attentes.

ELLE : Je n’attends rien de lui, seulement qu’il redevienne comme avant.

LA VOIX : Pfff. Sais-tu que ce « seulement » peut être énorme pour une personne ?

ELLE (après un long silence) : Qu’est-ce que tu veux ? Qui es-tu après tout ?

LA VOIX : Je suis la somme de toutes les connaissances et vérités acquises que tu as volontairement décidé d’archiver dans les dernières étagères de ton cerveau. Je te les rappelle. Tu ferais mieux d’écouter ce que je dis, peut-être trouveras-tu un savoir qui pourra vraiment te servir.

ELLE (regarde le café sur la table et prend la tasse dans sa main) : Qui sait ce qu’il y avait dans ce café ?

LA VOIX : Il ne s’agit pas du café et tu le sais. Tu cherchais des réponses. Et les voici. Elles sont toutes en toi. Toujours. Tu ouvrais jusqu’ici seulement les mauvaises étagères. (Un temps). Prends un crayon.

ELLE : Quoi ?

LA VOIX : Tu as commencé à écrire au début. Maintenant, écris ce que je te dis.

Confuse, elle prend un stylo, prête à écrire.

LA VOIX (dit lentement) : Chaque personne doit nécessairement blesser quelqu’un dans sa vie, consciemment ou inconsciemment, la plupart du temps inconsciemment, maintenant j’en suis consciente. Pourquoi ? Simplement, parce que chaque personne pense faire de son mieux. Le meilleur possible pour soi-même, le meilleur possible pour les autres, et c’est la façon dont chacun agit. Cela ne signifie pas nécessairement que chaque personne fait le bien : elle fait de son mieux, elle donne ce qu’elle peut donner, c’est ce qu’elle sait, c’est ce qu’elle a appris. C’est comme ça qu’elle fonctionne. Et moi aussi.

Dans toutes les décisions, je cherche la paix. Je comprends les autres, mais je ne suis pas responsable de leurs actions et émotions, les miennes sont celles sur lesquelles je me concentre. En essayant de résoudre les problèmes des autres, j’oublie souvent la personne qui a le plus besoin de moi : moi-même.

ELLE : Moi-même.

LA VOIX : Moi-même. Quels mots puissants. D’abord moi-même à moi, puis moi-même aux autres.

ELLE : Je pense que je commence à comprendre pourquoi tu es ici.

LA VOIX : Je suis toujours là. Seulement, parfois, tu décides de ne pas m’entendre. Je suis ici pour te rappeler que la condition préalable au bonheur et au véritable amour avec quelqu’un est, tout d’abord, l’amour pour soi-même. C’est si simple.

ELLE : Mais je m’aime !

LA VOIX : Oui, et pourtant tu acceptes des choses moins précieuses et choisis un sentiment de perte et d’impuissance, à cause de quelqu’un qui ne confirme pas ta valeur par ses mots ou ses actes. Cette confirmation doit être en toi. Réfléchis.

ELLE : Tu es ma confirmation ?

LA VOIX : Je suis ton rappel.

ELLE : Penses-tu que je devrais l’oublier ?

LA VOIX : Je pense qu’on doit parfois laisser certaines personnes en paix. Ou du moins ce qu’elles appellent la paix. Trouver la paix en soi-même et puis avancer. Si une personne peut travailler sur elle-même pour bien paraître aux yeux de quelqu’un, elle peut aussi travailler sur elle-même pour se sentir bien pour quelqu’un. La question est : est-ce qu’on veut vraiment cela ? C’est si simple. Ensuite, on finit par savoir si une personne tient réellement à une autre.

ELLE (confuse) : D’où tiens-tu tout ça ? D’où ai-je tout ça ? (Commence à bâiller) Tu vois, ce que tu dis ne sonne pas si mal du tout, en plus c’est un peu rassurant, mais ça manque de rationalité et d’explications.

LA VOIX : Ça manque de rationalité ? Tu remets en question ta capacité de penser !

ELLE : Alors, qu’est-ce que la vérité ?

LA VOIX : Mais je te l’ai déjà dit. La paix.

ELLE : La paix ?

LA VOIX : Eh bien oui, la paix. Le savoir qui te sert est la paix. La gratitude est la paix. La compréhension est la paix. L’amour-propre est la paix. Le respect de soi est la paix. Ce n’est que lorsque tu l’as en toi que tu peux la donner aux autres. Et tout le monde l’a en soi, il faut juste en prendre conscience. Et voici la vérité.

ELLE (d’un ton endormi) : Et tout cela est en moi ?

LA VOIX : Oui, parfois on a juste besoin que ça nous soit rappelé d’une manière ou d’une autre.

ELLE (bâille) : Trop d’informations pour une nuit. Il faudra du temps pour que cela devienne mon mantra. Rappelle-moi.

LA VOIX : Si tu te tournes vers ton for intérieur, tu découvriras beaucoup de choses. Je te rappelle que tu es une âme, un amour et que tu es valable. N’oublie pas, ce sont tes pensées. Je suis tes pensées. Les pensées que tu devrais choisir.

ELLE (bâille et baisse la tête à son bureau, d’un ton endormi) : Les pensées que je devrais choisir. Tout cela ressemble à un rêve. On va voir ce qu’il en adviendra demain.

LA VOIX : Oui, mais demain n’existe pas, parce que quand il vient, c’est déjà aujourd’hui. Dors maintenant, on va continuer à aligner les pensées.

Elle s’endort.

L’autrice

Crédits musique : Pemungkah by Gendér Wajang of Kuta ; Lasonothèque.org

Montage audio : Marion Roussey