La condition humaine

Que je suis heureuse d’être Homo sapiens !

Je peux allumer un feu à mains nues.

Je peux construire un vélo, je peux le conduire. Je peux le conduire sans les mains. Je peux me vanter de le conduire sans les mains.

Je peux même construire un tramway et le peindre en bleu.

Je peux m’asseoir dans un jardin botanique et m’imaginer assise au paradis.

Je peux traverser la route au feu rouge, même si un Homo sapiens plus influent que moi a décidé une fois que c’était inadmissible, et qu’on l’a écouté, mais pas moi.

Je peux délibérément faire des sons insolites au milieu de la rue avec ma gorge dans l’intention de voir d’autres Homo sapiens imaginer une longue histoire dans leur tête sur la façon dont mon problème est arrivé,

et puis me réjouir à l’idée que le leur n’est pas encore arrivé.

Je peux tomber amoureuse, dans le bonheur ou dans la tristesse (je peux décider), et pas seulement de l’attitude, de l’odeur ou du timbre de voix, mais aussi des blagues, des habitudes peu communes ou des choses qui rappellent à ces personnes leur grand-mère.

Je peux observer mon reflet dans chaque vitrine que je croise avec la conscience choquante que ce sera toujours moi, mais que la rue derrière moi ne sera plus jamais comme elle était au moment où j’ai fusionné avec elle dans l’éclat du verre.

Je peux établir un conseil, une sorte de conseil d’adultes, tenir une conférence et me proclamer présidente.

J’ai lu dans l’encyclopédie il y a longtemps qu’un ornithorynque ne peut probablement pas faire ça.

Ni l’écureuil, ni la belette, ni le castor, ni le cochon.

Ni l’éléphant d’Asie, ni celui d’Afrique, ni le mammouth, ni le chien non plus.

Je peux lister toutes les espèces animales que je connais afin de montrer à tout le monde à quel point je suis intelligente.

Je peux aussi être débile quand je veux.

Certains peuvent même l’être sans le vouloir. je pense que cela signifie qu’ils sont une espèce plus avancée que moi.

Je peux faire tout ce que je veux, mais aussi tout ce que je ne veux pas.

Ça veut dire que je peux faire tout ce que je peux,

et je peux tout faire, sauf cesser d’être Homo sapiens.

Mais ça ne fait rien, car c’est beau d’en être un.

L’autrice