Dans les nuages

Téméco
Dans les nuages
/

Y a-t-il des beaux événements dans votre vie ? – Oui, mais je ne veux pas en parler. Voilà ce que dirait un rêveur.

Vous savez, quand vous vivez dans un monde auquel vous n’appartenez pas, et que pourtant, vous essayez de vivre avec tout ce qui se passe autour de vous, alors vous savez que vous êtes un rêveur.

Le rêveur a tellement de choses à dire, mais personne pour les écouter. Il pense à tant de choses, des choses qui ne viendraient jamais à l’esprit d’une personne ordinaire.

Quand vous demandez à un rêveur s’il est heureux en voyant le soleil qui darde ses rayons, il vous dira que ce qui importe n’est pas le soleil mais les oiseaux qui gazouillent, pas la chaleur qu’émet la terre, mais les personnes chaleureuses, pas la lumière, mais la lueur dans ses yeux, pas la durée de la journée mais le temps passé avec des gens qui lui sont chers.

J’ai fait la connaissance d’un de ces rêveurs. Il portait en lui une énorme quantité de tristesse qu’on pouvait voir dans son regard, mais la sérénité avait voilé cette obscurité. C’est impensable de voir quelque chose de si beau et si malheureux à la fois !

Les yeux ne sont pas toujours le reflet de l’âme, les yeux peuvent très bien avoir une couleur vive même quand l’humeur est ténébreuse, mais parfois ils hurlent de douleur et de souffrance. C’est comme si une créature appelant à l’aide se cachait en eux. Mais elle n’appelait pas à l’attention, plutôt à la compréhension.

Mon rêveur avait les yeux verts, des yeux qu’on ne croise qu’une fois dans une vie. Ce n’était pas une question de couleur, mais de profondeur.

Dans les dictionnaires linguistiques, le rêveur est celui qui vit de manière non conventionnelle, rebelle, comme s’il le faisait intentionnellement. Ce n’est pas tout à fait vrai. C’est dans sa nature, incomprise, mais ce n’est pas sa faute, c’est sur les autres qu’il faudrait la rejeter. Il n’aime pas que les autres ne le comprennent pas, mais il souffrirait plus à l’idée de ne plus être ce qu’il est.

Les rêveurs se reconnaissent entre eux. Quand le même « incompris » entre dans une pièce, les deux se mettent à tisser une toile invisible qui les fait se rejoindre.

Quand, après une dure journée, il s’assoit dans une taverne et dépense jusqu’au dernier centime en musique, il rentre chez lui les poches vides mais le cœur plein. Ce n’est pas la taverne ou l’alcool qui produit cela, c’est plutôt un sentiment de plénitude, de chaleur qui circule dans le corps et les poils qui se hérissent de la tête aux pieds.

Après force sourires échangés dans la journée, il ira en déterrer un dernier, le plus enfoui, qu’il offrira au moins méritant. Le bien, le mal ou le mal à plus grande échelle n’existent pas à ses yeux, tout est pareil !

Celui-ci avait l’étrange habitude de dire oui à chaque supplique, doléance et adjuration. Parfois, tout ce qui à ses yeux était possible, ne l’était pas pour le commun des mortels. Si cela était synonyme de renonciation à son temps, à son bonheur, à son argent et même à ses organes vitaux, il le ferait. Mais les gens n’y prêteraient pas attention.

Et le soir, quand toutes les âmes s’endorment et que la lune est pleine, il se lève et marche, s’assoit un moment au beau milieu de la nuit et pense à la veille comme si demain n’existait pas. Mais pourquoi ? Il n’a personne avec qui parler. Si on lui ôtait ces périodes de marches nocturnes, qui sait ce qu’il deviendrait…

Il est facile d’être pris de honte à la vue de l’un de ces rêveurs parce que tout ce qu’il dit ou fait est le fruit de l’innocence. Vous aviez peut-être la boule à l’estomac parce que vous pensiez à quelque chose que votre rêveur ne ferait jamais, alors vous vous êtes demandé si vous n’étiez pas en tort et si ce n’était pas vous qui semiez les graines du mal.

Tout va bien, ce n’est que ce rebelle qui a placé la barre haut. Il se fera un plaisir de partager son expérience avec vous.

Le mien aux yeux verts n’était pas fatigué parce qu’après toutes les obligations, il avait l’habitude de s’asseoir à vos côtés et de parler des heures… jusqu’à ce que les mots lui manquent, mais il en puiserait alors d’autres.

Le rêveur est altruiste envers les autres avant de l’être envers lui-même. Il sait que tout n’est pas rose, mais sa bulle à lui, elle est d’un rose éclatant.

Je pense parfois que ce monde n’est pas fait pour eux. Ils ont besoin d’un champ plein d’herbe, de marguerites et de quelques violettes sous leurs yeux. Il y ferait sans cesse jour et le soleil brillerait de mille feux. Dans cet endroit où les papillons vivent depuis des années, un rêveur est assis avec un de ses semblables. Ils parlent des aléas de la vie, des Grecs, de la musique, de la nourriture, des montagnes et des fourmis, cherchant constamment le sens de l’inhalation et de l’expiration. Et lorsqu’ils sont pris de fatigue, ils boivent une gorgée d’eau fraîche provenant d’une source de montagne et reprennent. Ils dorment rarement, voire jamais. Mais une harpe et un écho peuvent être entendus au loin. Ils aiment pour toujours et pleinement. Ils ne connaissent pas la douleur et leurs larmes ne sont pas salées.

Du moins je l’espère.

L’autrice

Crédits musique : John Bartmann Bouncy Gypsy Beats ; Tzigane, by Harry Fishpye ; L.C.P. (Locomotion Commotion Potion) pre-mastered ; Lasonothèque.org

Montage audio : Marion Roussey